Une rencontre ? une méditation ? une dégustation de thé ? Une cérémonie de thé c’est un peu tout cela et un peu plus encore. Au premier abord on retient surtout l’esthétique et l’ambiance, entre minimalisme et sérénité. Et bien sûr le goût du thé fouetté, amer et plutôt épais. Puis on devient attentif aux détails : le choix des fleurs, des ustensiles, de la calligraphie, des gestes de l’hôte. Enfin on s’attache aux valeurs et à l’esprit de la cérémonie de thé :
- Harmonie*
- Respect**
- Pureté***
- Tranquillité****
Un peu d’histoire…
C’est en Chine, durant la dynastie Tang (618-907) que boire le thé s’apparente à un Art, et que des rituels de plus en plus élaborés apparaissent. D’abord dans les temples bouddhistes, où les moines se servent du thé comme d’une médecine et d’un stimulant pour méditer. Le thé est intimement lié aux philosophies bouddhistes, taoïstes et confucianistes. L’art chinois du Thé insiste sur les valeurs de paix, de tranquillité, de plaisir et de sincérité. Les figures marquantes sont :
- Lu Yu : Chajing (8e s.)il écrit la « bible » du thé en 10 volumes
- Lu Tung : fin 8e S (Wu wei, non agir)
- Shen’an : en 1269 (Chaju tuzan) il rédige le 1er manuel des ustensiles à thé
Sous la dynastie Song (960-1279), l’art du thé atteint l’apogée du raffinement esthétique et culturel. Le thé en poudre, apparut sous les Tang, est à son sommet. Il est fouetté en « mousse de jade » à partir de poudre de thé beaucoup plus finement broyée à l’aide de moulins à eau (et non plus au mortier). Les figurent marquantes sont :
- l’empereur Huizong : surnommée l’empereur du thé (1101-1125) il publie un traité sur le thé et la cérémonie de thé (Daguan Chalun)
- le gouverneur Cai Xiang (Fujian) : il publie les Annales du thé
Cependant, contrairement au matcha tel qu’on le connaît aujourd’hui, le thé en poudre à cette époque est plutôt blanc ou vert très pale (car il est fabriqué à partir de thé blanc). Il est totalement abandonné par les dynasties suivantes, Yuan et surtout Ming (avec le thé en feuilles infusées).
La cérémonie chinoise du thé met l’accent davantage sur le thé, en tant qu’expérience sensorielle (son goût, son parfum, le plaisir à le déguster, à l’apprécier), et sur une préparation plutôt détendue et poétique.
Pendant ce temps-là au Japon, un moine bouddhiste (Eisai 1141-1215) rapporte de Chine le bouddhisme zen, des semences de camellia sinensis et également une façon de préparer le thé avec des feuilles de théier réduites en poudre et fouettées dans de l’eau chaude (l’ancêtre du matcha). Ici comme en Chine, le thé et sa consommation sont intimement liés au bouddhisme et aux moines :
- Ikkyû Sôjun (1394-1481) : le supérieur du temple Daitoku-ji célèbre pour son excentricité, insiste sur le fait de boire le thé en pleine conscience par l’attention aux gestes notamment
- Jukô dit aussi Murata Shukô (1422-1502) : disciple de Ikkyû, plus proche de la philosophie zen, instaure une cérémonie beaucoup plus modeste et ouverte à tous
- Takeno Jôô (1502-1555) met l’accent sur le wabi-sabi (idée de simplicité, de sobriété et de beauté du temps qui passe)
C’est au 16è siècle que le grand maître de thé Sen No Rikyû (1522-1591) codifie la cérémonie de thé (Cha No Yu) à l’époque pratiquée par les guerriers (samouraïs), et uniquement les hommes, afin de retrouver un moment de sérénité au milieu de temps agités. Il conçoit et promeut la Voie du Thé en tant que discipline esthétique basée sur la loi bouddhique, visant à atteindre le salut spirituel. L’élément le plus important dans le pavillon de thé est le rouleau calligraphié (jiku) qui exprime une saison, mais également une pensée source de méditation. L’arrangement floral exprime la saison et le charme de l’éphémère. Les femmes ne participeront à la cérémonie de thé qu’à partir du 19è s (Meiji) lorsque sa pratique sera intégrée à l’éducation des jeunes filles.
Un moment unique et éphémère
L’élément central dans la cérémonie de thé japonaise (Cha No Yu) est « ichi-go ichi-e« . Il signifie que cette rencontre du thé est unique, et qu’elle ne se reproduira plus jamais à l’identique. Ce moment est donc un trésor qu’il convient d’apprécier et de vivre dans le moment présent, en étant pleinement attentif et concentré. C’est en cela que cette pratique rejoint une forme de méditation et conduit au calme (****tranquillité). La cérémonie se déroule en silence, les ustensiles sont d’abord purifiés (***pureté), le thé est préparé par l’hôte avec le coeur et partagé avec beaucoup d’égard avec les invités (**respect). L’attention est également portée sur l’environnement : l’arrangement floral, la calligraphie, les ustensiles du thé (en particulier le bol), tous ces détails concourent à créer une atmosphère d’*harmonie et de respect mutuel entre les participants mais également avec les objets. Beauté et simplicité.
Ces règles sont destinées à être appliquées en dehors du pavillon de thé, à la vie de tous les jours. A savoir vivre pleinement chaque moment, être attentif aux détails et apprécier la simplicité, adopter une attitude bienveillante et respectueuse envers les autres et envers notre environnement.
La cérémonie de thé est une façon de se connecter à la Nature, et aussi à nous-mêmes en agissant avec lenteur et conscience. C’est de cette façon que l’on peut donner le meilleur de nous-même aux invités à qui l’on prépare et sert le thé avec tout son coeur, dans le respect, la sincérité et la bienveillance.
La simplicité plutôt que le luxe
Au Japon, le Wabi-Sabi est un mouvement qui naît par rejet des signes extérieurs de richesse, en particulier ceux venus de la culture impériale chinoise au 16è siècle. En effet au fur et à mesure de son déploiement au Japon, entre le 12è et le 14è s, la cérémonie a pris des accents élitistes, où le raffinement des objets l’a progressivement écarté de sa visée spirituelle.
Le basculement intervient avec le moine Ikkyû au 15è s. Il réforme la voie du thé, et développe un goût des objets singuliers et imparfaits, patinés par la temps, car ils expriment la nature en toute simplicité. Ces valeurs sont très proches de celles du bouddhisme zen qui sont pratiquées dans les temples par l’utilisation d’objets modestes et naturels (bambou, terre, pierre, fleurs). La rusticité distinguée ou l’élégance simple. Cette dimension esthétique humble et singulière est désormais magnifiée dans la cérémonie de thé japonaise, en particulier Omotesenke.
L’inspiration par la nature est centrale dans la cérémonie de thé, avec l’attention aux saisons et aux signes précurseurs : arrangement floral, choix des ustensiles, ambiance et atmosphère. Elle regroupe un petit nombre de personnes qui souhaitent se réunir pour « plonger dans la contemplation de la beauté et de l’éphémère de la vie ». Admirer la beauté de l’instant avec toutes ses nuances subtiles, et se concentrer sur ce qui est essentiel pour chacun d’entre nous.
Mes sources d’inspiration :
- « Le livre du thé » de Okakura Kakuzô
- « Vie du thé, esprit du thé » de Shitsu sen
- « Thé et tao » de John Blofeld
- « Wabi Sabi, trouver le bonheur au-delà de l’imperfection » de Christopher A. Weidner
- « L’empire du thé » de Katrin Rougeventre
- « Le guide des thés du Japon » de Valérie Douniaux
- « Zen & Tea, One flavor » de Aaron Fisher
- « Tea & Tao magazine », Global Tea Hut